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  • De l’irresponsabilité ou de l’incompétence ?


Je sais que dans ce chapitre, je ne me ferai pas d’ami et je peux même en perdre. Heureusement pour moi, les risques sont faibles, voire nuls. Toutes les personnes en cause sont probablement mortes et si, par hasard, il en restait une ou deux de mon âge, comment pourraient-elles lire mes élucubrations ? A moins que ça les fasse rire.

Mon premier commandant, au commissariat de Boulogne, était un homme charmant, pas très bavard, plutôt rond-de-cuir. Pourtant, il passait pour un ancien résistant qui avait été très actif sous l’occupation. C’est d’ailleurs à cet héroïsme qu’il devait ses quatre ficelles.

De simple gardien de la paix, il avait été (on disait alors parachuté, par référence aux résistants parachutés de Londres dans la métropole occupée) directement
nommé commandant. J’ignore ce qu’il avait pu faire dans la résistance pour mériter cette promotion. on disait tant de choses, parfois incontrôlables à ce sujet ; en tenant compte du nombre des échelons hiérarchiques franchis si rapidement, je ne doute pas de son courage au cours de cette sombre époque de notre histoire.

Mais, malgré ses quatre galons, il était resté gardien de la paix. Ce qui n’a pas été le cas de tous les parachutés, pourtant nombreux, d’après la Libération.

Aucun sens du commandement, aucune formation professionnelle et probablement, aucune aptitude à rédiger clairement des instructions ou notes de service.

Mais, je le répète, un homme sympathique.
seule, cette qualité, quoique très importante, est insuffisante pour diriger une formation d’une centaine d’hommes (et aujourd’hui, de femmes).

Je ne citerai qu’une seule de ses interventions parce que je ne l’ai vu à l’oeuvre qu’une fois hors de son bureau. en 47, il y a eu des grèves chez renault. La situation était agitée, souvent violente. il ne faisait pas bon pour la police de s’aventurer aux abords du vieux pont de sèvres (avenue edouard-Vaillant) où se trouvait, sur la nationale 10, la Maison des syndicats abritant en permanence des meetings de grévistes.Un peu plus loin, l’île seguin, le coeur de l’usine.

Dans cette ambiance, un ordre émanant de l’etat-Major arriva au commissariat de Boulogne. il s’agissait de lacérer certaines affiches appelant à des actions sur la voie publique et les civils du commissariat furent envoyés pour cette mission. Lorsqu’ils virent que les murs de la Maison des syndicats en étaient couverts ainsi que ceux des immeubles voisins, ils eurent le réflexe adroit d’éviter ce secteur dangereux.

Rentrés à leur base, ils ont rendu compte aux gradés présents. Le héros de la résistance ne put supporter cette pusillanimité : « Vous avez la chiasse, suffoqua-t-il, je vais vous faire voir comment on fait. »

A la tête de l’effectif de la police-secours, c’est-à-dire : un brigadier, un chauffeur, trois hommes, sans armement de protection, le voilà parti sur place. Je faisais partie de l’équipée, j’étais le plus jeune.

Les lieux signalés étaient déserts, tous les grévistes assistaient à un meeting à l’intérieur de l’usine. Nous voici à décoller les affiches licencieuses, sans aucun mal, la colle était encore fraîche. Ça n’a pas duré longtemps. Les veilleurs nous ont vite repérés et sont allés chercher du renfort. Dans les minutes qui suivirent, le désert ressemblait à un hall d’aéroport un jour de grand départ en vacances et nous n’étions que six !

Nos adversaires ne semblaient pas disposés à nous faire des cadeaux, après tout, ils étaient chez eux. Les projectiles commençaient à pleuvoir de partout, principalement
des boulons et écrous de fabrication locale. Notre grand chef eut une réaction de meneur d’hommes en sonnant la retraite au demeurant commencée avant son ordre. Ce fut la déroute humiliante, comme en quarante, à tel point que le stagiaire
ne dut son salut qu’à ses jambes pour rattraper le car qui partait sans lui.

Ce fut miracle que tout le monde rentrât indemne au poste. Le retour ne fut glorieux pour personne. Le brillant officier s’était enfermé dans son bureau sans faire de commentaire.

Qu’aurait-il fallu faire dans un tel cas ? c’est simple : rien ! puisque de toutes façons, les affiches ont été immédiatement recollées.

Les grèves, même dures, n’ont qu’un temps. il fallait attendre que ce temps efface tout de lui-même. ou alors revenir en force. Puisque force doit rester à la loi, qu’au moins on y mette les moyens. Mais dans ce cas était-ce bien utile ?

La compétence d’un gradé consiste aussi à savoir évaluer les chances de réussite d’une mission et de ne pas hésiter à négocier les ordres venus d’en haut, émanant d’autorités qui doivent être mises au courant des difficultés locales.

« Toi alors, p’tit con, t’es gonflé, après le brigadier, l’iPA, tu te payes le commandant. »

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